Igorrr + Master Boot Record + Imperial Triumphant – 07/10/2025 – L’Usine – Istres
Après deux dates en France puis quelques haltes espagnoles, IGORRR et sa caravane avant-gardiste sont de retour dans l’Hexagone. Pour nous, cap sur L’Usine d’Istres. Cela faisait bien trop longtemps que je n’y avais pas mis les pieds. Non par manque d’intérêt pour la programmation, mais faute de temps. La salle se remplit tranquillement et, ouf, un crash barrières est bien en place. On se souvient encore du chaos photographique du 6MIC d’Aix sans zone de sécurité en juin 2024, véritable séance de cardio ! Aussi, ce soir, tout semble en ordre pour accueillir une soirée sous le signe de la décadence et du génie.
IMPERIAL TRIUMPHANT
Premier à fouler la scène, IMPERIAL TRIUMPHANT impose d’entrée sa signature singulière : masques dorés, élégance morbide et sonorités venues d’un autre monde. Les trois Américains, venus défendre leur album Goldstar, font naître une atmosphère à la fois noire et grandiose, entre rituel urbain et jazz de l’Apocalypse. Les premières notes de « Lexington Delirium » installent un chaos ordonné où la dissonance devient art, et où la technique se confond avec la folie.
Le trio joue une setlist courte, d’une trentaine de minutes, mais intense avec « Gomorrah Nouveaux« , « Devs est Machina » ou encore « Eye of Mars« . Chaque passage semble calibré pour bousculer les repères. Si le frontman, Zachary Ezrin, reste plutôt statique et monolithique derrière sa guitare, le bassiste Steve Blanco attire tous les regards. Non seulement il est bien plus dynamique, mais il allume en plein set les LEDs incrustées dans sa basse, illuminant la scène d’un halo surnaturel. Et que dire de son look ? Des santiags en peau de serpent, brillantes sous les projecteurs, qui achèvent de lui donner des airs de prédicateur cyber-démoniaque.
Le trio parvient tout de même à instaurer un véritable cérémonial sonore. Et lorsque, vers la fin du set, Ezrin sabre une bouteille de champagne avant d’en arroser le public, la scène tourne à la liturgie déglinguée. Quelques chanceux du premier rang auront même droit à une rasade servie directement par le maître de cérémonie. Entre performance et excentricité, IMPERIAL TRIUMPHANT laisse derrière lui une impression étrange, entre fascination et inconfort. Le public, attentif et curieux, salue cette ouverture atypique avec respect. Le ton est donné : la soirée sera tout sauf ordinaire.
MASTER BOOT RECORD
Après la noirceur déstructurée d’Imperial Triumphant et un changement de plateau, on découvre plusieurs anciens ordinateurs et écrans d’une autre époque sur la gauche de la scène. Victor Love, le fondateur de MASTER BOOT RECORD, arrive avec un clavier qu’il brandit bien haut à deux mains. L’esthétique, tout en sons rétro, visuels à la gloire des lignes de codes qui défilent et du système DOS, annonce la couleur. Ici, l’informatique devient matière première musicale.
Dès les premières secondes, tout semble calibré comme une intrusion dans un vieux disque dur, où chaque riff serait un fichier corrompu et chaque arpège une séquence de boot. Le public entre rapidement dans le jeu, oscillant entre fascination et headbang mécanique. Sur scène, les trois musiciens ne ménagent pas leurs efforts. Victor Love, le visage concentré navigant entre sa guitare et ses machines, guide le vaisseau. Le guitariste Edoardo Taddei, véritable virtuose, déroule des mélodies à une vitesse surhumaine pendant que le batteur de Death Metal Giulio Galati martèle un tempo d’une rigueur quasi algorithmique. Le mélange paraît improbable et pourtant il fonctionne à merveille. Le public d’Istres est partagé entre fascination geek et extase métallique. Certains titres, comme « IRQ Conflict » ou « ANSI.SYS », déclenchent même de véritables pogos, preuve que la fusion entre Metal et binaire n’est plus un concept expérimental, mais une machine bien huilée.
En fin de set, le groupe remercie la foule qui les acclame. Le frontman en profite pour lancer au public des anciennes disquettes de jeu vidéo dont celles de DOOM et World of Warcraft avant de lancer pour conclure sur le set : « This is Metal music, not fucking synthwave ! »
IGORRR
Le moment tant attendu arrive enfin. Après deux premières parties déjà bien chargées en étrangetés, IGORRR s’apprête à faire exploser toutes les frontières musicales. L’Usine est désormais pleine à craquer, et lorsque les lumières s’éteignent un grondement collectif monte de la foule. Pas de suspense, en démarrant avec « Daemoni » Gautier Serre impose toujours autant sa vision du chaos organisé, un déluge de sons mêlant breakcore, opéra baroque, Metal extrême et musique sacrée.
Autour de lui, on retrouve la même formation que lors de la précédente tournée. Martyn Clément à la guitare, Rémi Serafino à la batterie, Marthe Alexandre et Jean-Baptiste Le Bail aux voix. Marthe s’est rapidement imposée comme l’un des points forts du concert. Ses lignes vocales, d’une intensité presque irréelle, ont littéralement suspendu la salle. Lorsqu’elle aborde des titres comme « ieuD », « Polyphonic Rust » ou « Silence » sa maîtrise lyrique prend une dimension saisissante, emplissant chaque recoin de la scène d’une ampleur quasi théâtrale, voire solennelle. En miroir, Jean-Baptiste Le Bail répond avec une férocité vocale impressionnante. Son registre extrême se mêle aux envolées cristallines de Marthe, créant un contraste saisissant. Ensemble, ils forment un duo vocal où pureté et rage s’affrontent autant qu’ils s’embrassent, donnant à la performance une profondeur dramatique remarquable. Sur scène, c’est un véritable ballet d’oppositions. La brutalité mécanique côtoie les envolées lyriques, les cris se fondent dans la pureté d’un air classique, les blasts succèdent à un clavecin samplé. IGORRR ne se contente pas de jouer : il construit une expérience sensorielle totale, entre performance sonore et théâtre baroque. Il faut d’ailleurs s’accrocher dans la foule car même à l’abri derrière les crash barrières on sent la secousse. La fosse bouillonne et ça pousse de tous les côtés.
Les 18 titres s’enchaînent sans répit. Sept sont issus du dernier album Amen dont « Blast beat falafel« , « ADHD« , « Headbutt » ou encore « Pure Disproportionate Black and White Nihilism« . Une belle part est faite aussi aux titres de l’album précédent Spirituality and Distortion avec les classiques « Nervous waltz« , « Downgrade desert » ou encore « Camel Dancefloor« . Chaque morceau plongeant la salle dans un état d’hypnose collective. Les jeux de lumière accentuent la tension, tantôt rouge infernal, tantôt doré divin, tandis que le son fait vibrer les murs de la salle. Entre headbangs furieux, pogos, slams et visages fascinés, on sent que chacun vit le concert à sa manière. IGORRR, fidèle à lui-même, repousse les limites du concevable, offrant un final cathartique avec « Very noise » enchaîné avec « Opus brain » où tout s’effondre avant de renaître dans un dernier éclat sonore.
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Lorsque les dernières notes s’éteignent, la foule reste quelques secondes suspendue. Une soirée dense, audacieuse, parfaitement calibrée, où l’expérimentation a trouvé son public. En sortant, les visages sont à la fois éreintés et émerveillés : preuve qu’entre technologie, avant-garde et démesure, la musique extrême a encore de beaux jours devant elle.
